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Racines 2005


Noël 2004, Anne devant son ordinateur, devant le massif du Mont Blanc. (Photo de Jean Philippe Azaïs).

Destins et secrets de famille

Non-dits familiaux, événements secrets ou incompris, décès à répétition aux mêmes dates, conditions d'enfance douloureuses, vie d'adulte mal vécue: la psychogénéalogie peut-elle nous libérer des liens intergénérationnels qui nous emprisonnent et nous dire pourquoi?

Dossier réalisé par Christine Grandin

 

Le syndrome d'anniversaire

"On parle de syndrome d'anniver­saire lorsque le jour anniversaire de quelque chose d'important, positif ou négatif se répète souvent de générations en générations. Souvent c'est bénéfique, ou quel­quefois son contraire (naissance, mariage, suicide, décès, accident, ruptures ... ).

Pour prendre un exemple person­nel, mon mari a été élu Académi­cien, 100 ans jour pour jour après son arrière-grand-père. Ce n'était pas un secret, mais c'est curieux que cela soit jour pour jour.

Il y a beaucoup de gens dont la date de naissance ou celle de leur conception correspond à un jour de naissance ou de mariage ou de décès de quelqu'un de la famille ou d'une personne qu'ils aimaient beaucoup. Quelquefois c'est à de nombreuses générations de distan­ce. Au Québec, j'ai pu le vérifier une fois.

Il n'y a pas d'explication "ra­tionnelle", mais il y a des explica­tions traditionnelles. C'est une constatation de répétition. La Bible dit déjà: "les parents ont mangé des raisins trop verts et les enfants en ont eu les dents agacées ... "

 

"Passé non digéré, source de mal-être"

Auteure du célèbre ouvrage Aïe mes aïeux!, professeure des universités, psy­chanalyste et psychodramatiste de renom­mée internationale, Anne Ancelin Schützenberger pratique et enseigne depuis plus de trente ans la "thérapie transgénérationnelle contextuelle", plus simplement vulgarisée sous le nom de "psychogénéalogie" .

Racines: "Vous dites dans votre ouvrage, Aïe mes aïeux !,  que les familles ont aussi un "destin" et que nous sommes par­fois des maillons mis à mal par nos ancêtres, sans en avoir conscience."

Anne Ancelin Schützenberger: "II faut replacer les générations dans leur contex­te, avec toutes les situations dites déshonorantes, dégradantes ou difficiles pour leur époque: par exemple beaucoup de gens sont issus d'enfants adultérins ou naturels qu'on appelait des "bâtards" et qui ont été des secrets de famille. Alors qu'à l'heure actuelle, ce n'est plus si tra­gique. Mais cela l'a été à un tel point qu'on en a fait des secrets.

Vous pouvez avoir eu dans votre famil­le un drame comme la mort d'un enfant ou d'un parent, un suicide, quelqu'un qui a été mis en prison ou qui a perdu l'hon­neur à tort ou à raison, parce qu'il avait choisi, selon son époque, "le mauvais côté" .

Quand les choses sont dites, quel que soit le drame, c'est moins "pire" que le secret de famille. Parce que c'est une zone d'ombre et que les descendants essaient de retrouver ce que c'est. Souvent, ils n'y arrivent pas et inventent pire que la réalité."

R: "Des événements passés peuvent donc affecter les descendants ?"

A. A. S.: "La plupart des enfants pen­sent que, si les parents sont mal à l'aise, c'est leur faute. Qu'ils ont fait quelque chose qu'il ne fallait pas. Alors que par­fois, c'est le reflet du malaise du père ou du grand-père, en réaction à un événement, parce qu'ils connaissent un secret ou le subodorent.

Pour prendre un exemple parlant, que l'on soit fils de Nazi, fils de Résistant condamné à la déportation ou fils de déporté, les problèmes chez les enfants et les petits-enfants sont exactement les mêmes. Les gens se sentent coupables, ils ont des cauchemars, des insomnies. Nous sommes quelques-uns à considérer que dans ces cas-là, le deuil d'un trau­matisme considéré comme impossible ou injuste n'a pas été fait.

Il y a des gens qui pensent que se remettre à vivre après la mort d'un enfant, c'est "oublier" cet enfant. Ou d'autres, qui refusent de faire un deuil parce qu'ils pensent qu'ils conserveront l'autre vivant. C'est refuser une histoire tragique. Cette impossibilité peut se répercuter inconsciemment chez des membres des générations suivantes.

Je connais une histoire où plusieurs membres de la même famille sont morts à la même date. Quand on remonte plusieurs générations plus haut, on trouve, pendant la bataille de Sébastopol, un artilleur qui a fait une erreur de tir, et qui, sans le vouloir, a tué des Français dans son propre camp. Et donc, à partir de là, je pense qu'il s'est senti coupable et plusieurs de ses descen­dants sont morts ce jour-là, à la même date."

R: "Y a-t-il un âge charnière où l'on se pose plus de questions sur l'histoire de sa famille ?"

A. A. S.: "On se pose plus de questions si on a des maladies ou des accidents répé­titifs à certaines périodes ou mois de l'an­née, chez l'un ou l'autre des individus de la famille. Bien des gens viennent nous voir, mes collègues et moi, parce que quelque chose les tracasse.

C'est la première question que je pose en cas de cancer récidivant. Ou en face de personnes qui ont de l'asthme chronique. Elles sont souvent, par exemple, des des­cendants de personnes gazées pendant la Première Guerre mondiale. Et quand on retrouve son origine, l'asthme cesse. J'ai vu des gens qui avaient des déformations de la glotte, ou qui voyaient mal et qui ont recouvré la santé. On le voit aussi dans certains cas de stérilité sans cause orga­nique.

Je l'explique par le fait qu'une tâche inachevée, comme un deuil, ou un évé­nement difficile ou tragique, se perpétue dans le corps tant qu'on a pas trouvé les causes d'origine ou réalisé un acte qui ter­mine cette situation douloureuse,"

R: "Non-dits ou secrets de famille peu­vent aussi être des sources de mal-être ?"

A.A.S.: "Attention aux secrets de famille! Le secret de famille en tant que secret est nocif en soi, et perturbe la (ou les) génération(s) qui suive(nt). Je donne toujours l'Australie en contre-exemple: j'y suis allée pour faire des conférences et des formations de groupe. Beaucoup d'Australiens ont donc travaillé avec moi. Si on réfléchit bien, les Australiens "de race blanche" sont tous des fils de criminels ou de prostituées déportées pour peupler ce vaste continent. Ils ont tous des ancêtres qui ont fait pis que pendre, ou qui ont fait des choses répréhensibles pour la société.

Mais ils vont très bien! L'Australie est pleine d'honnêtes gens! Je trouve que c'est une population parfaitement nor­male, mais aussi parfaitement honorable. Quelle que soit la réalité, les descendants racontent avec fierté leur his­toire. "Et ils font avec".

C'est quand on ne connaît pas les faits que l'on peut en faire un drame répétitif."

R: "Votre expérience de la psychana­lyse transgénérationnelle a démontré que des situations dramatiques ou répétitives pouvaient prendre fin, notamment au moyen d'une technique que l'on appelle le "génosociogramme"."

A.A.S.: ""C'est en fait une extension de la psychanalyse bien faite. Quelqu'un qui n'aurait qu'une formation sur la répéti­tion des dates le ferait incomplètement, parce qu'il faut connaître l'individu et le contexte historique. Le travail sur plusieurs générations familiales s'appelle le géno­sociogramme. C'est un arbre généalogique qui comporte les faits de vie importants et les liens répétitifs entre générations. Le terme de "psychogénéalogie" est simplement une explication de vulgarisation que j'ai lancée. Et qui a fait fortune! Malheureusement, pas toujours à bon escient...

Mais la "psychogénéalogie" n'est pas un mot utilisé par les cliniciens universi­taires. Je préfère dire que c'est un "plus" à l'intérieur d'une très bonne psychothé­rapie avec un bon professionnel qui connaît le transgénérationnel."

Pour en savoir plus

À lire:

 Aïe mes Aïeux !, Anne Ancelin Schützenberger, aux éditions Desclée de Brouwer, 22,70 (15" édition 2000 complétée)

Ces enfants malades de leurs parents, Anne Ancelin Schützen­berger et Ghislain Devroede aux édi­tions payot, poche, 7

Sortir du deuil, Anne Ancelin Schützenberger et Evelyne Bissone Jeufroy, aux éditions Payot, 15 € ;

Secrets de famille, mode d'emploi, Serge Tisseron, éditions Marabout;

Vérités et mensonges de nos émotions du même auteur, aux éditions Albin Michel (2005);

l'histoire en héritage, Vincent De Gaulejac, éditions Desclée de Brouwer (1999).

 

 

 

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